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17 Jun 2016

De l’usage du préservatif dans les romances. Du fantasme à la réalité.

Je dois vous avouer une chose : je lis avec beaucoup de plaisir des romances, celles de la collection HQN, de Mills & Boons chez les anglo-saxons ou de Dreamspinner Press pour la littérature gay.

Si certains dialogues mièvres me font lever les yeux au ciel ou si certaines péripéties me font glapir d’excitation (oui, je glapis d’excitation, ça ne vous arrive donc jamais ?), un détail en particulier me gêne très souvent : l’usage du préservatif dans ces romans « à l’eau de rose », comme on dit.

Je ne vais pas blâmer tout le monde, car ce n’est ni mon rôle ni mon envie. Je ne blâme d’ailleurs même pas les auteurs qui vont être cités dans la suite de ce court billet. Je vais me contenter de vous faire la leçon, par amitié, car je tiens à vous tous.

Très souvent, dans ces romans, alors que les corps s’échauffent et qu’une pénétration est sur le point d’être décrite, l’auteur précise que cette dernière se fait sans préservatif. Nous ne sommes pas dans une romance paranormale ou une romance historique, nous sommes bien dans un texte contemporain, qui décrit la première fois d’un couple (M/M ou M/F peu importe) qui vit à notre époque. Dans la romance, une littérature du fantasme absolu, certains trouveront normal que nous puissions nous passer de ce morceau de plastique. En effet, beaucoup diront que c’est un « tue-l’amour », tout autant que le fait de garder ses chaussettes pendant l’acte (ahem). Préciser que les personnages utilisent un préservatif serait alors un frein à la création du fantasme chez le lecteur. J’en conviens, c’est possible.

Ne rien dire sur le sujet, ne pas en parler dans son récit, j’arrive à l’accepter et ne m’en émeus pas. Mentionner toutefois qu’on ne l’utilise pas, je ne l’accepte pas. J’accepte encore moins cette connerie que j’ai pu trouver dans Double Alchemy de Susan Mac Nicol, une romance paranormale gay. Les protagonistes utilisent le préservatif la première fois et dès la seconde fois, hop, ça y est, c’est oublié. Ils ne le mettent plus.

Ma seule réaction a été : WTF Susan !

 

Autre exemple : Dear You, de la française Emily Blaine. L’héroïne couche avec son premier petit ami de l’histoire et utilise un préservatif. Un brownie point pour Emily Blaine (je dois préciser ici toute l’admiration que j’ai pour cette jeune auteur qui m’a intensément diverti la semaine dernière). Arrive l’amour de sa vie, celui avec qui on sait dès le départ que l’héroïne finira, le beau milliardaire A. Blake… La tension monte, la jupe se soulève (et pas que la jupe si vous voyez ce que je veux dire), et l’Apollon de proposer de mettre un préservatif. J’étais content. Emily Blaine continuait dans sa lancée. Usage du préservatif jusqu’au bout. Bien, bien.

Puis, j’ai lu la suite : l’héroïne lui assure que c’est bon car elle prend la pilule.

WTF Emily !

J’ai pris conscience de deux choses en lisant cette scène : 1) que l’angoisse d’une femme est avant tout de tomber enceinte 2) que le préservatif sert seulement comme moyen de contraception.

 

Je ne veux pas dire ici que tout auteur a un rôle de pédagogue auprès de son lectorat. Je ne veux pas le dire, car juste avant que je me mette à réfléchir sur le sujet qui m’occupe aujourd’hui j’ai toujours considéré que tout auteur avait le droit de refuser toute forme de didactisme dans son œuvre, refuser pareillement que ses romans puissent servir d’exemple.

Cependant, je crois que j’ai trouvé ici la limite. A l’heure où de plus en plus de jeunes laissent tomber le préservatif, à l’heure où des quinquagénaires, fraîchement célibataires, retrouvent les frénésies d’une vie sexuelle intense et ne se protègent pas, je crois qu’il est temps pour les auteurs de romance d’assumer un rôle engagé dans le domaine. Non pas pour faire la morale mais par amour pour leur lecteur.

J’aime mes lecteurs, ceux qui me lisent ici ou sur d’autres plate-formes. Je les aime au point que je suis prêt à être le rabat-joie de service, et même dans les textes de fiction que je peux écrire.

J’ai vécu dans une grande capitale européenne durant plusieurs années : Londres, pour ne pas la nommer. Des gens du monde entier y vivent et y font l’amour. Les chiffres sur la transmission du virus du VIH et des autres IST (infection sexuellement transmissible) sont affolants, et pas seulement dans le milieu gay qu’il m’est arrivé de fréquenter.

 

Que ce soit à Londres ou en France, ou ailleurs, au fin fond de la campagne en Province, tout le monde est concerné par le virus du VIH (à l’origine du SIDA, ce syndrome de déficience immunitaire qui a tué tellement de gens ces trente dernières années). Et je dis bien tout le monde, car le VIH, contrairement à nous autres humains, ne fait aucune distinction de race, de sexe, d’âge ou de religion. Quand Monique, cinquante ans, couche avec nombre d’hommes sans préservatif, car c’est plus naturel et intense ainsi, elle court le risque d’être contaminée. Quand Félix, gay, dix-neuf ans, couche avec son plan-cul du jour sans préservatif, parce qu’il est tellement beau, il court le risque d’être contaminé. Quand Pierre, jeune homme de trente ans, couche sans préservatif avec la fille qu’il a rencontrée en boîte quelques heures plus tôt, car il est à court de préservatifs, il court le risque d’être contaminé. Et peu importe que vous soyez des habitués de ce laxisme, peu importe que ce ne soit qu’une exception. Il suffit d’une fois. Une seule fois… et pour le moment, il n’est pas possible de revenir en arrière une fois que vous avez le virus du VIH.

Revenons à nos romances : pourquoi l’héroïne d’Emily Blaine utilisait des préservatifs avec son premier amant et non pas avec l’amour de sa vie ? J’ai beaucoup de raisons à donner et vous en trouverez aussi beaucoup certainement. Sur le plan littéraire, c’est le détail qui montre qu’il est le seul à lui faire perdre la raison et qu’il est l’amour de sa vie. Avec lui, elle ne court aucun risque. Mais revenons une seconde à la réalité : depuis quand les milliardaires sont-ils protégés du VIH ? Certes, on n’en parle pas souvent à la télévision. Peu de personnes publiques reconnaissent être porteur de ce virus. Mais si elles ne le reconnaissent pas, ça ne veut pas dire qu’il n’en existe pas.

 

Evidemment, on voit mal l’héroïne de Dear You finir chez le médecin pour recevoir un traitement contre la chlamydia qu’elle vient de contracter, ou contre la gonorrhée. Après tout, on attrape plus souvent ces MST que le VIH…

 

Je crois qu’il ne serait pas mauvais que l’auteur (en général, pas Emily Blaine, qui ne me sert ici que d’exemple et que je ne blâme pas, je le précise encore) ajoute une note à la fin de son récit. Quel mal y a-t-il à rappeler à ses lectrices que l’usage du préservatif n’est pas qu’un seul moyen de contraception (les gays le savent tous, ceci dit, pour des raisons évidentes) mais sert aussi à protéger contre les MST ? Quel mal y a-t-il à rappeler qu’un porteur du VIH n’est pas différent en apparence des autres ? Qu’il ou elle peut être même porteur sans le savoir ? Je ne crois pas que ce soit faire la morale à son lectorat, je crois que c’est lui rendre un service. Nous avons tous vu ces affiches montrant de beaux jeunes hommes et de belles jeunes filles, rappelant que la beauté n’est pas signe d’immunité au virus. Nous ne devrions pas l’oublier, ni même les auteurs de romance.

 

Aimer, c’est aussi utiliser un préservatif.

 

Je ne dis pas qu’il faut que tout le monde utilise un préservatif dans les romances (ce serait absurde dans un texte qui se passe au XVIe siècle, par exemple). Par ailleurs, l’auteur est libre de faire ce qu’il veut. Et heureusement ! Mais faire apparaître le préservatif dans un texte pour le jeter dès la seconde scène de sexe, c’est mal. Il ne s’agit pas d’une convention littéraire du genre (et si elle se met en place, il faut immédiatement la faire cesser), le préservatif n’est pas une case que l’auteur de romance doit cocher et, s’étant obligé une fois à le faire apparaître, se considère libre pour la suite.

 

Vendre du rêve et du fantasme à son lecteur n’empêchera jamais de l’inviter à protéger son corps, à défaut de protéger son cœur.

Je rappellerai en conclusion les paroles d’une chanson de Barbara, que j’aimerais voir citer plus souvent :

 

Si s’aimer d’amour,

C’est mourir d’aimer,

Sont mourus d’amour,

Seuls et Sidannés,

Les Damnés d’amour,

A vouloir s’aimer,

Ils sont morts d’amour,

Sid’assassinés.

 

Auteurs de romance, je vous en prie, n’abandonnez pas la lutte. Vous offrez un très beau miroir à vos lecteurs, ne faites donc pas disparaître le préservatif de ce tableau. Je ne voudrais pas que vos lecteurs meurent d’avoir trop aimé d’amour.

 

Enzo Daumier

(article initialement publié en janvier 2015)

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